mardi 25 mars 2014

série "Les Protecteurs" : "Philippus"

Bonsoir à tous,

Je n'ai pas abandonné "la Septième Prophétie", le tome 2 progresse lentement mais sûrement, je travaille dessus tous les jours.

Ce soir, j'ai envie de vous faire découvrir un texte écrit pour le dernier concours de mon forum, qui m'a permis d'explorer un nouvel univers dans le domaine du fantastique, mettant en scène des personnages appelés "les Protecteurs" et qui mélangera les époques, de l'Antiquité Romaine à nos jours.
Dans cette nouvelle, "Philippus", vous découvrirez le premier d'entre eux,et son histoire.

Bonne lecture !


PHILIPPUS

La nuit était tombée sur Rome et, à cette heure avancée, seule la pleine lune éclairait les rues de la ville.
Dans sa chambre, le centurion Philippus dormait profondément avec Tullia, son épouse. Soudain, un vagissement aigu le tira du sommeil. Encore mal réveillé, il réalisa que sa fille Octavia pleurait, sans doute après avoir fait un cauchemar. Tullia se leva et il ne bougea pas, laissant sa femme consoler leur enfant. Philippus allait retomber dans les limbes du sommeil quand un cri perçant, poussé cette fois par Tullia, le fit brusquement sursauter. Réagissant aussitôt, il bondit hors du lit et saisit son glaive, avant de courir vers la chambre d’Octavia.
Lorsqu’il pénétra dans la pièce, il se figea en poussant un cri d’horreur : une femme de haute taille tenait son épouse contre elle, sa bouche enfoncée dans son cou. Au sol, Octavia gisait telle une poupée désarticulée, au milieu d’une flaque de sang. Glacé, le centurion réalisa que les légendes qui, pour lui, n’étaient que des contes, s’avéraient réelles et qu’une stryge attaquait sa famille. Sortant de son immobilité, Philippus leva son glaive et s’approcha de la créature :
« Lâche-la ! »
La bête releva la tête pour le fixer et un rictus cruel étira sa bouche tandis qu’elle passait lentement sa langue sur ses lèvres écarlates.
Le centurion se jeta sur elle au moment où elle laissait tomber Tullia. D’un geste souple, la stryge évita le coup qu’il lui porta de son arme et le frappa du revers de son bras, le jetant à terre avec une force surprenante. Philippus lâcha son glaive qui glissa au sol, hors de sa portée. La créature le fixa de ses yeux glacés et éclata de rire, avant de se tourner vers le balcon et d’y marcher tranquillement. L’officier tenta de se relever pour reprendre le combat, mais n’y parvenait pas, cloué par une force surnaturelle. Il ne put qu’observer la stryge, gravant ses traits dans sa mémoire, pour la retrouver.
La bête se percha sur la rambarde et lui lança un dernier regard, comme pour le narguer, avant d’ouvrir de larges ailes, comme celles d’une chauve-souris, et de se jeter au-dessus des maisons de la ville.
Aussitôt, le centurion retrouva sa liberté de mouvement et se précipita vers Tullia qui gisait à terre, face contre le sol. Il la retourna et poussa un gémissement en découvrant sa gorge déchiquetée, qui laissait couler un filet de sang. Ses yeux vitreux le fixaient sans le voir, elle avait déjà rejoint le royaume de Pluton. Tout en serrant son corps contre lui, Philippus se mit à sangloter sans pouvoir se retenir. Ses yeux pleins de larmes se posèrent sur Octavia et il sut aussitôt que, comme sa mère, toute vie avait quitté ce petit corps.
Au moment où résonnaient les pas des serviteurs attirés par les cris et les bruits du bref combat, le centurion se mit à hurler sans pouvoir s’arrêter, fou de douleur.

Philippus errait dans sa demeure, accablé par la perte brutale de Tullia et d’Octavia. La nuit précédente, leurs funérailles avaient eu lieu et, désormais, il était seul. Dans un état second, il avait assisté aux rituels, sans réaction face aux flammes qui dévoraient les deux corps. La stryge lui avait arraché sa seule famille, les deux êtres qui lui importaient le plus.
Le centurion venait d’apprendre que, dans quelques jours, sa légion rejoindrait la Gaule pour une nouvelle campagne ; il se noierait dans les combats pour oublier le malheur qui l’avait frappé. Tullia était dans la fleur de l’âge et Octavia n’avait qu’un an, ce n’était encore qu’une enfant innocente, elles ne méritaient pas cela.
Au fond de lui, aussi forte que la douleur, une froide résolution grandissait, celle de venger sa femme et sa fille chéries en retrouvant la stryge et en la tuant, pour qu’elle ne fasse plus jamais de mal. Pour l’aider, il avait fait appel à un réseau d’espions très particulier, celui de Marcus et de ses compagnons d’infortune. L’homme, un ancien légionnaire que la vie n’avait pas épargné, mendiait dans les rues de Rome, ce qui lui permettait de glaner discrètement de précieuses informations. Philippus, qui s’était lié d’amitié avec lui, l’avait lancé sur les traces du monstre, persuadé que le carnage ne s’arrêterait pas là. Le jeune homme était résolu, dès qu’ils l’auraient localisée, à aller tuer la stryge. Il risquait d’y laisser la vie, mais n’en avait cure : il avait déjà perdu tout ce à quoi il tenait, plus rien ne pouvait l’affecter à présent.

Marcus se présenta le lendemain matin, annonçant au centurion qu’une créature correspondant à sa description avait été aperçue la nuit précédente dans un des quartiers les plus misérables de Rome. Le mendiant lui proposa de l’y conduire à la tombée de la nuit, car la stryge allait sûrement y revenir, n’ayant attaqué personne lors de sa venue. Philippus accepta et lui ordonna de revenir le chercher au crépuscule, après lui avoir donné un aureus d’or pour le récompenser.
Une fois seul, le jeune homme se prépara pour son expédition nocturne, vérifiant son armement et ses protections. Gracchus, son fidèle serviteur, s’inquiéta de son projet et tenta de le convaincre d’y renoncer. Peu disposé à l’écouter, Philippus le rabroua et lui ordonna de le laisser seul, pour prier. Après son départ, le centurion gagna l’autel des Dieux Lares et s’agenouilla devant lui, leur demandant de l’aider à vaincre la stryge, pour qu’elle ne fasse plus de victimes.
Alors qu’il était abimé dans ses suppliques, un étrange phénomène se produisit en lui, comme une sorte d’énergie qui naissait dans son cœur et se propageait dans le reste de son corps. Interloqué car il n’avait jamais rien ressenti de tel, Philippus se demanda ce que cela signifiait, espérant qu’il ne s’agissait pas là d’un mauvais présage pour l’affrontement à venir.

À la nuit tombée, le centurion suivit Marcus dans les méandres de la ville. Philippus s’était équipé de son glaive et d’une dague, et sa cuirasse, ornée d’une silhouette de loup, couvrait sa poitrine. Le jeune homme avait dissimulé le tout sous une cape noire dont il avait rabattu le capuchon sur sa tête, pour ne pas attirer l’attention. Il se glissait dans l’ombre des maisons, se collant aux murs en suivant son guide.
Bientôt, ils parvinrent à une petite place entourée de maisons délabrées, à l’aspect misérable. Marcus l’entraîna sous un porche et lui souffla, en désignant la bâtisse en face d’eux :
« C’est là que la bête est venue la nuit dernière, elle rôdait autour du balcon. »
Philippus savait que les stryges avaient la réputation de s’en prendre aux bébés qu’elles vidaient de leur sang, mais aussi aux femmes, comme il l’avait appris à ses dépens. Il interrogea le mendiant :
« Il y a des enfants dans cette maison ?
— Oui, deux bébés nés il y a quelques jours. Leur mère a failli mourir en les mettant au monde, elle est encore faible.
— Trois proies faciles, donc… »
Une sombre colère étouffa Philippus, surmontant le chagrin qui lui broyait le cœur. Il se promit que le monstre ne détruirait pas cette famille comme il avait détruit la sienne.
Un brusque mouvement le fit sursauter : dans un bruissement léger, la stryge apparut dans le ciel et se posa sur la rambarde du balcon. Ses ailes se replièrent dans son dos tandis qu’elle disparaissait dans l’obscurité de la pièce.
Aussitôt, le centurion se précipita vers la maison en dégainant son glaive, décidé à empêcher le pire. Marcus avait prévenu ses habitants qui n’avaient pas verrouillé la porte et, pour se protéger, s’étaient regroupés dans une seule pièce. Des cris de peur résonnèrent à l’intérieur et Philippus se lança dans les escaliers pour arriver avant que la créature n’ait commencé sa tâche. De nouveau, la sensation étrange de l’après-midi se reproduisit, cette énergie qui semblait naître en lui et s’étendre à tout son corps, mais il ne s’en soucia pas, concentré sur son but.
Il déboucha dans une chambre où une femme, très pâle, allongée dans un lit, serrait contre elle deux nouveaux nés qui pleuraient. Un homme, sans doute son mari, se tenait face à la stryge qui s’approchait lentement de ses proies, un rictus cruel aux lèvres ; il n’avait qu’un bâton pour se défendre, arme dérisoire qui ne suffirait pas contre elle.
L’intrusion du centurion attira l’attention de la stryge qui tourna la tête et plissa les yeux en le voyant ; il lui cria :
« Me reconnais-tu, créature des Enfers ? Je suis venu pour te tuer, pour venger ma femme et ma fille ! »
La bête poussa un cri moqueur et tendit la main vers lui : comme la fois précédente, Philippus sentit une force le clouer sur place, l’empêchant de bouger. Il commença à lutter pour s’en défaire et, soudain, réalisa que l’étrange énergie qui l’avait envahi l’y aidait, le libérant peu à peu des liens magiques.
La stryge avait reporté son attention sur ses futures victimes, persuadée d’être débarrassée du centurion. Elle tendit le bras et cassa net le bâton, puis enfonça ses ongles, devenus des griffes, dans le ventre de l’homme, le déchirant sans pitié.
À cet instant, Philippus retrouva sa liberté de mouvement. Sans attendre, il se rua sur la stryge et abattit son arme sur le bras de la créature, le coupant net. Celle-ci poussa un cri strident tandis que le sang giclait de son membre coupé et se tourna vers son agresseur.
Marcus, qui avait suivi le centurion, tira le blessé à l’écart, près du lit, pour tenter de le soigner, tout en laissant le champ libre à son compagnon.
Malgré sa blessure, la stryge avait gardé sa force ; elle frappa Philippus de son bras valide, l’envoyant contre le mur. Il le heurta rudement et glissa à terre, étourdi. La créature fondit aussitôt sur lui, ses ailes déployées. Le centurion leva son glaive et la bête s’empala sur la lame. Réagissant rapidement, Philippus sortit sa dague et l’utilisa pour infliger une large plaie au cou de la stryge, avant de la repousser d’un coup de pied. La créature roula au sol, tandis que ses ailes se cassaient sous elle. Le centurion se releva à toute vitesse et, brandissant son glaive, décapita la stryge d’un geste net. La tête roula contre le mur et ses yeux devinrent vitreux.
Essoufflé, Philippus contempla son adversaire enfin vaincu, avant d’entendre un râle derrière lui ; il se retourna et découvrit Marcus qui essayait d’arrêter le flot de sang qui coulait de la blessure béante de l’homme. Le centurion se précipita vers eux et vit le mendiant secouer la tête en silence, annonçant que tout effort était vain et que le blessé allait mourir. Au fond de lui, une petite voix ordonna à Philippus d’empêcher cela et, sans vraiment savoir ce qu’il faisait, il écarta la main de Marcus pour poser la sienne à sa place, sur la plaie. L’énergie sembla se concentrer dans sa paume, devenant une chaleur bienfaisante, et Philippus hoqueta en sentant celle-ci se transmettre à l’homme. Sous ses doigts, la peau se refermait et le sang cessait de couler, ne laissant que la marque des griffes, comme une cicatrice.
Marcus ouvrit de grands yeux et balbutia, incrédule :
« Par Jupiter, qu’est-ce que vous avez fait ? »
Tremblant malgré lui, le centurion leva sa main et observa sa paume ensanglantée : il ne comprenait pas ce qui s’était passé, d’où venait cette puissance qui l’avait empêché de succomber aux sortilèges de la bête, puis lui avait permis de sauver cet homme. Une seule chose était sûre, ce miracle s’était produit, et l’avenir lui dirait sans doute ce que cela signifiait. Pour l’heure, seule importait sa réussite : il avait vaincu la stryge, et elle ne ferait plus jamais de victimes, une fois qu’on aurait brûlé son corps et dispersé ses cendres aux quatre vents. Tullia et Octavia étaient vengées.