Affichage des articles dont le libellé est Nouvelles. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Nouvelles. Afficher tous les articles

mardi 25 mars 2014

série "Les Protecteurs" : "Philippus"

Bonsoir à tous,

Je n'ai pas abandonné "la Septième Prophétie", le tome 2 progresse lentement mais sûrement, je travaille dessus tous les jours.

Ce soir, j'ai envie de vous faire découvrir un texte écrit pour le dernier concours de mon forum, qui m'a permis d'explorer un nouvel univers dans le domaine du fantastique, mettant en scène des personnages appelés "les Protecteurs" et qui mélangera les époques, de l'Antiquité Romaine à nos jours.
Dans cette nouvelle, "Philippus", vous découvrirez le premier d'entre eux,et son histoire.

Bonne lecture !


PHILIPPUS

La nuit était tombée sur Rome et, à cette heure avancée, seule la pleine lune éclairait les rues de la ville.
Dans sa chambre, le centurion Philippus dormait profondément avec Tullia, son épouse. Soudain, un vagissement aigu le tira du sommeil. Encore mal réveillé, il réalisa que sa fille Octavia pleurait, sans doute après avoir fait un cauchemar. Tullia se leva et il ne bougea pas, laissant sa femme consoler leur enfant. Philippus allait retomber dans les limbes du sommeil quand un cri perçant, poussé cette fois par Tullia, le fit brusquement sursauter. Réagissant aussitôt, il bondit hors du lit et saisit son glaive, avant de courir vers la chambre d’Octavia.
Lorsqu’il pénétra dans la pièce, il se figea en poussant un cri d’horreur : une femme de haute taille tenait son épouse contre elle, sa bouche enfoncée dans son cou. Au sol, Octavia gisait telle une poupée désarticulée, au milieu d’une flaque de sang. Glacé, le centurion réalisa que les légendes qui, pour lui, n’étaient que des contes, s’avéraient réelles et qu’une stryge attaquait sa famille. Sortant de son immobilité, Philippus leva son glaive et s’approcha de la créature :
« Lâche-la ! »
La bête releva la tête pour le fixer et un rictus cruel étira sa bouche tandis qu’elle passait lentement sa langue sur ses lèvres écarlates.
Le centurion se jeta sur elle au moment où elle laissait tomber Tullia. D’un geste souple, la stryge évita le coup qu’il lui porta de son arme et le frappa du revers de son bras, le jetant à terre avec une force surprenante. Philippus lâcha son glaive qui glissa au sol, hors de sa portée. La créature le fixa de ses yeux glacés et éclata de rire, avant de se tourner vers le balcon et d’y marcher tranquillement. L’officier tenta de se relever pour reprendre le combat, mais n’y parvenait pas, cloué par une force surnaturelle. Il ne put qu’observer la stryge, gravant ses traits dans sa mémoire, pour la retrouver.
La bête se percha sur la rambarde et lui lança un dernier regard, comme pour le narguer, avant d’ouvrir de larges ailes, comme celles d’une chauve-souris, et de se jeter au-dessus des maisons de la ville.
Aussitôt, le centurion retrouva sa liberté de mouvement et se précipita vers Tullia qui gisait à terre, face contre le sol. Il la retourna et poussa un gémissement en découvrant sa gorge déchiquetée, qui laissait couler un filet de sang. Ses yeux vitreux le fixaient sans le voir, elle avait déjà rejoint le royaume de Pluton. Tout en serrant son corps contre lui, Philippus se mit à sangloter sans pouvoir se retenir. Ses yeux pleins de larmes se posèrent sur Octavia et il sut aussitôt que, comme sa mère, toute vie avait quitté ce petit corps.
Au moment où résonnaient les pas des serviteurs attirés par les cris et les bruits du bref combat, le centurion se mit à hurler sans pouvoir s’arrêter, fou de douleur.

Philippus errait dans sa demeure, accablé par la perte brutale de Tullia et d’Octavia. La nuit précédente, leurs funérailles avaient eu lieu et, désormais, il était seul. Dans un état second, il avait assisté aux rituels, sans réaction face aux flammes qui dévoraient les deux corps. La stryge lui avait arraché sa seule famille, les deux êtres qui lui importaient le plus.
Le centurion venait d’apprendre que, dans quelques jours, sa légion rejoindrait la Gaule pour une nouvelle campagne ; il se noierait dans les combats pour oublier le malheur qui l’avait frappé. Tullia était dans la fleur de l’âge et Octavia n’avait qu’un an, ce n’était encore qu’une enfant innocente, elles ne méritaient pas cela.
Au fond de lui, aussi forte que la douleur, une froide résolution grandissait, celle de venger sa femme et sa fille chéries en retrouvant la stryge et en la tuant, pour qu’elle ne fasse plus jamais de mal. Pour l’aider, il avait fait appel à un réseau d’espions très particulier, celui de Marcus et de ses compagnons d’infortune. L’homme, un ancien légionnaire que la vie n’avait pas épargné, mendiait dans les rues de Rome, ce qui lui permettait de glaner discrètement de précieuses informations. Philippus, qui s’était lié d’amitié avec lui, l’avait lancé sur les traces du monstre, persuadé que le carnage ne s’arrêterait pas là. Le jeune homme était résolu, dès qu’ils l’auraient localisée, à aller tuer la stryge. Il risquait d’y laisser la vie, mais n’en avait cure : il avait déjà perdu tout ce à quoi il tenait, plus rien ne pouvait l’affecter à présent.

Marcus se présenta le lendemain matin, annonçant au centurion qu’une créature correspondant à sa description avait été aperçue la nuit précédente dans un des quartiers les plus misérables de Rome. Le mendiant lui proposa de l’y conduire à la tombée de la nuit, car la stryge allait sûrement y revenir, n’ayant attaqué personne lors de sa venue. Philippus accepta et lui ordonna de revenir le chercher au crépuscule, après lui avoir donné un aureus d’or pour le récompenser.
Une fois seul, le jeune homme se prépara pour son expédition nocturne, vérifiant son armement et ses protections. Gracchus, son fidèle serviteur, s’inquiéta de son projet et tenta de le convaincre d’y renoncer. Peu disposé à l’écouter, Philippus le rabroua et lui ordonna de le laisser seul, pour prier. Après son départ, le centurion gagna l’autel des Dieux Lares et s’agenouilla devant lui, leur demandant de l’aider à vaincre la stryge, pour qu’elle ne fasse plus de victimes.
Alors qu’il était abimé dans ses suppliques, un étrange phénomène se produisit en lui, comme une sorte d’énergie qui naissait dans son cœur et se propageait dans le reste de son corps. Interloqué car il n’avait jamais rien ressenti de tel, Philippus se demanda ce que cela signifiait, espérant qu’il ne s’agissait pas là d’un mauvais présage pour l’affrontement à venir.

À la nuit tombée, le centurion suivit Marcus dans les méandres de la ville. Philippus s’était équipé de son glaive et d’une dague, et sa cuirasse, ornée d’une silhouette de loup, couvrait sa poitrine. Le jeune homme avait dissimulé le tout sous une cape noire dont il avait rabattu le capuchon sur sa tête, pour ne pas attirer l’attention. Il se glissait dans l’ombre des maisons, se collant aux murs en suivant son guide.
Bientôt, ils parvinrent à une petite place entourée de maisons délabrées, à l’aspect misérable. Marcus l’entraîna sous un porche et lui souffla, en désignant la bâtisse en face d’eux :
« C’est là que la bête est venue la nuit dernière, elle rôdait autour du balcon. »
Philippus savait que les stryges avaient la réputation de s’en prendre aux bébés qu’elles vidaient de leur sang, mais aussi aux femmes, comme il l’avait appris à ses dépens. Il interrogea le mendiant :
« Il y a des enfants dans cette maison ?
— Oui, deux bébés nés il y a quelques jours. Leur mère a failli mourir en les mettant au monde, elle est encore faible.
— Trois proies faciles, donc… »
Une sombre colère étouffa Philippus, surmontant le chagrin qui lui broyait le cœur. Il se promit que le monstre ne détruirait pas cette famille comme il avait détruit la sienne.
Un brusque mouvement le fit sursauter : dans un bruissement léger, la stryge apparut dans le ciel et se posa sur la rambarde du balcon. Ses ailes se replièrent dans son dos tandis qu’elle disparaissait dans l’obscurité de la pièce.
Aussitôt, le centurion se précipita vers la maison en dégainant son glaive, décidé à empêcher le pire. Marcus avait prévenu ses habitants qui n’avaient pas verrouillé la porte et, pour se protéger, s’étaient regroupés dans une seule pièce. Des cris de peur résonnèrent à l’intérieur et Philippus se lança dans les escaliers pour arriver avant que la créature n’ait commencé sa tâche. De nouveau, la sensation étrange de l’après-midi se reproduisit, cette énergie qui semblait naître en lui et s’étendre à tout son corps, mais il ne s’en soucia pas, concentré sur son but.
Il déboucha dans une chambre où une femme, très pâle, allongée dans un lit, serrait contre elle deux nouveaux nés qui pleuraient. Un homme, sans doute son mari, se tenait face à la stryge qui s’approchait lentement de ses proies, un rictus cruel aux lèvres ; il n’avait qu’un bâton pour se défendre, arme dérisoire qui ne suffirait pas contre elle.
L’intrusion du centurion attira l’attention de la stryge qui tourna la tête et plissa les yeux en le voyant ; il lui cria :
« Me reconnais-tu, créature des Enfers ? Je suis venu pour te tuer, pour venger ma femme et ma fille ! »
La bête poussa un cri moqueur et tendit la main vers lui : comme la fois précédente, Philippus sentit une force le clouer sur place, l’empêchant de bouger. Il commença à lutter pour s’en défaire et, soudain, réalisa que l’étrange énergie qui l’avait envahi l’y aidait, le libérant peu à peu des liens magiques.
La stryge avait reporté son attention sur ses futures victimes, persuadée d’être débarrassée du centurion. Elle tendit le bras et cassa net le bâton, puis enfonça ses ongles, devenus des griffes, dans le ventre de l’homme, le déchirant sans pitié.
À cet instant, Philippus retrouva sa liberté de mouvement. Sans attendre, il se rua sur la stryge et abattit son arme sur le bras de la créature, le coupant net. Celle-ci poussa un cri strident tandis que le sang giclait de son membre coupé et se tourna vers son agresseur.
Marcus, qui avait suivi le centurion, tira le blessé à l’écart, près du lit, pour tenter de le soigner, tout en laissant le champ libre à son compagnon.
Malgré sa blessure, la stryge avait gardé sa force ; elle frappa Philippus de son bras valide, l’envoyant contre le mur. Il le heurta rudement et glissa à terre, étourdi. La créature fondit aussitôt sur lui, ses ailes déployées. Le centurion leva son glaive et la bête s’empala sur la lame. Réagissant rapidement, Philippus sortit sa dague et l’utilisa pour infliger une large plaie au cou de la stryge, avant de la repousser d’un coup de pied. La créature roula au sol, tandis que ses ailes se cassaient sous elle. Le centurion se releva à toute vitesse et, brandissant son glaive, décapita la stryge d’un geste net. La tête roula contre le mur et ses yeux devinrent vitreux.
Essoufflé, Philippus contempla son adversaire enfin vaincu, avant d’entendre un râle derrière lui ; il se retourna et découvrit Marcus qui essayait d’arrêter le flot de sang qui coulait de la blessure béante de l’homme. Le centurion se précipita vers eux et vit le mendiant secouer la tête en silence, annonçant que tout effort était vain et que le blessé allait mourir. Au fond de lui, une petite voix ordonna à Philippus d’empêcher cela et, sans vraiment savoir ce qu’il faisait, il écarta la main de Marcus pour poser la sienne à sa place, sur la plaie. L’énergie sembla se concentrer dans sa paume, devenant une chaleur bienfaisante, et Philippus hoqueta en sentant celle-ci se transmettre à l’homme. Sous ses doigts, la peau se refermait et le sang cessait de couler, ne laissant que la marque des griffes, comme une cicatrice.
Marcus ouvrit de grands yeux et balbutia, incrédule :
« Par Jupiter, qu’est-ce que vous avez fait ? »
Tremblant malgré lui, le centurion leva sa main et observa sa paume ensanglantée : il ne comprenait pas ce qui s’était passé, d’où venait cette puissance qui l’avait empêché de succomber aux sortilèges de la bête, puis lui avait permis de sauver cet homme. Une seule chose était sûre, ce miracle s’était produit, et l’avenir lui dirait sans doute ce que cela signifiait. Pour l’heure, seule importait sa réussite : il avait vaincu la stryge, et elle ne ferait plus jamais de victimes, une fois qu’on aurait brûlé son corps et dispersé ses cendres aux quatre vents. Tullia et Octavia étaient vengées.



samedi 25 janvier 2014

"La nuit, dans les landes..."

Un peu de lecture aujourd'hui, une nouvelle écrite pour le dernier concours de mon forum d'écriture, dont le sujet était de compléter les quatre premières phrases, avec un texte dont la contrainte était de faire peur.
Et cerise sur le gâteau, je me suis amusée à faire une fan-fiction d'une de mes séries préférées, "Docteur Who"

Bonne lecture !



La nuit, dans les landes...



Je jetai un œil furtif à l'arrière de la voiture et contemplai, horrifiée, ce qui s'y trouvait. Le conducteur avait le regard fixé devant lui, les yeux plongés dans la nuit noire et profonde, tandis que la route défilait. Je déglutis. Je savais ce qu'il me restait à faire. Ou plutôt non, je ne le savais pas, et tout en essayant de calmer les battements affolés de mon cœur, je me rappelai comment je m’étais fourrée dans un tel pétrin…
Mais qu’est-ce qui m’avait pris ? J’aurais dû savoir que c’était une mauvaise idée, à l’instant même où le Tardis s’était matérialisé devant moi et que le Docteur en avait jailli pour me proposer de faire un tour avec lui. J’avais pourtant suffisamment vu et revu les épisodes de ses différentes aventures pour savoir que tout voyage avec lui tournait invariablement à la catastrophe à un moment ou à un autre. Malheureusement, j’avais quand même accepté et notre saut dans le temps n’avait pas fait exception à la règle : au lieu de visiter l’Exposition Universelle de 1900 à Paris, voilà que nous nous étions retrouvés dans une lande déserte, perdue loin de tout, sans doute à la fin du XIXème siècle. Pour couronner le tout, après le départ inopiné du Tardis, nous laissant plantés là, le Docteur et moi avions été séparés en essayant de chercher de l’aide. Au moins, je portais une tenue qui correspondait à peu près à l’époque, une robe à tournure de coton bordeaux, ainsi que des bottines de cuir à talons pas très adaptées à des chemins de campagne.
Alors que la nuit allait tomber, j’avais commencé à désespérer car je ne voyais pas âme qui vive à l’horizon, ni même l’ombre d’une masure. Lorsqu’un grincement avait fini par déchirer le silence, je m’étais retournée et j’avais éprouvé un profond soulagement en apercevant une calèche noire qui arrivait dans ma direction. Sans plus réfléchir, je m’étais postée au milieu de la route et j’avais fait de grands signes au cocher pour l’arrêter, le suppliant de m’emmener à l’abri. Il m’avait brièvement détaillée et j’en avais fait de même : un instant, je fus tentée de m’enfuir devant son faciès de brute, un visage épais, à la bouche tordue remplie de chicots noirs et au menton couvert d’une barbe mal taillée. Avec son physique de colosse, l’homme évoquait un bandit de grand chemin. Cependant, j’étais tellement perdue et désespérée que sa compagnie m’avait semblé moins pire que de rester ici seule en pleine nuit, car j’entendais au loin hurler des loups, ou des chiens sauvages. J’avais donc accepté la main tendue par le cocher pour me hisser à côté de lui. J’avais à peine eu le temps de m’accrocher à mon siège que l’homme avait fait claquer son fouet pour lancer ses deux chevaux noirs à un train d’enfer. Tandis que je me crispais de toutes mes forces pour tenir – si je tombais, je me romprais le cou –, je frissonnais car le froid transperçait les fines manches de mon corsage. Une fois de plus, je maudis le Docteur qui ne m’avait même pas fourni une cape pour me réchauffer, une façon comme une autre d’essayer de penser à autre chose qu’à ma position peu reluisante…
Et maintenant, alors que la pleine lune s’était levée en perçant les ténèbres, tandis que cette carriole de l’enfer roulait à tombeau ouvert sur une route défoncée, j’avais jeté un coup d’œil à l’arrière de la voiture. J’étais restée sans voix en y découvrant plusieurs personnes apeurées, ligotées et bâillonnées, ainsi que le Docteur, attaché lui aussi et visiblement assommé : sans doute avait-il agacé le cocher avec ses bavardages incessants, d’où ce « traitement de faveur » jugé plus efficace qu’un bâillon pour le faire taire. Si, avant cette vision, je pouvais espérer que le Docteur allait venir à mon aide, maintenant je savais que j’allais devoir me débrouiller seule.
J’essayai de distinguer la route devant nous, me demandant où le mystérieux cocher nous conduisait : un défilé rocheux apparut devant nous, et bientôt la voiture s’engagea entre ses deux parois escarpées. L’homme ne ralentit pas un instant et le bruit des sabots résonnant sur la terre dure envahit le défilé, emplissant mes oreilles du vacarme. Je ne pus en boucher qu’une, mon autre main continuant à agripper convulsivement le siège pour ne pas tomber. Mon cœur battait la chamade tandis que j’essayais de surmonter la panique qui envahissait mon esprit pour analyser la situation. Le colosse avait enlevé des gens, ainsi que le Docteur : pourquoi ? Qu’allait-il faire de nous ? Je n’étais pas attachée, mais je me rendais compte que j’étais prisonnière comme les autres, et que le cocher comptait sur ma peur pour que je ne fasse rien. Il avait raison : j’étais terrorisée et si j’essayais de sauter en marche, je me fracasserais les os, vu la vitesse du véhicule. Mon instinct de survie me criait donc de rester là sans rien tenter et d’attendre la suite. Il me semblait que le Diable lui-même conduisait cet attelage pour me mener en Enfer, et j’avais du mal à calmer les battements affolés de mon cœur.
Bientôt, enfin, la charrette émergea du défilé et je distinguai au loin, devant nous, la silhouette d’un petit château à moitié en ruine. J’essayai de me raisonner, sans y parvenir : une sourde angoisse me tordait le ventre et même si je me répétais que ce n’était sans doute qu’un cauchemar, rien n’y faisait. Le froid qui me saisissait, les cahots de la route et la peur qui me paralysait ne me laissaient guère de doutes : je ne rêvais pas…
Enfin, la voiture s’arrêta dans la cour du château. J’aurais pu essayer de m’enfuir à ce moment-là, mais mes jambes ne me portaient plus : si je tentais de descendre, j’étais sûre de m’effondrer par terre tellement je tremblais.
Plusieurs hommes au physique aussi peu engageant que celui du cocher sortirent du bâtiment et s’avancèrent vers nous, sans doute pour décharger le véhicule de son chargement. L’un d’eux, mince et bien habillé, dénotait parmi les autres, et j’en déduisis qu’il devait être leur chef. Il me fixa sans aménité et demanda au conducteur d’une voix dure :
« Pourquoi celle-là n’est pas attachée ?
— J’l’ai ramassée sur la lande à la tombée d’la nuit, c’était pas utile d’la ligoter, j’roulais trop vite pour qu’elle fasse quoi qu’ce soit ! »
Un des nouveaux arrivants me saisit sans ménagement par le bras et me fit descendre de mon siège. Je trébuchai en touchant le sol, empêtrée dans la tournure de ma jupe, et sans sa main qui me tenait fermement, je me serais étalée au sol. Ses compagnons emmenaient les prisonniers bâillonnés à l’intérieur du château. Le plus costaud avait saisi le Docteur sous les bras et le traînait comme s’il s’agissait d’un vulgaire sac de pommes de terre. Je me retournai vers leur chef, lui demandant en tremblant :
« Qui êtes-vous ? Qu’allez-vous faire de nous ? »
L’homme me jeta un regard mauvais, avant qu’un rictus n’étire ses lèvres. Un frisson glacé me parcourut la colonne vertébrale : sur qui étais-je donc tombée ? Mais pourquoi n’étais-je pas restée tranquillement chez moi ? Sans daigner me répondre, il tourna les talons et rentra dans le bâtiment, tandis que son sbire me poussait rudement vers le hall d’entrée. L’intérieur du château était sombre, plein de poussière et de toiles d’araignées, seulement éclairé ici et là par quelques lampes à huile. Visiblement, l’électricité n’avait pas encore fait son apparition dans ce lieu. Je faillis pousser un hurlement en apercevant un rat traverser le hall en trottinant, surtout lorsqu’il s’arrêta quelques secondes pour me fixer de ses yeux sombres. Pendant qu’on m’entraînait vers un escalier qui menait au sous-sol, je remarquai que le mobilier était soit vermoulu, soit inexistant : de toute évidence, plus personne ne vivait ici depuis longtemps. Ce n’était sans doute qu’un lieu de passage pour nos ravisseurs, et pour nous aussi certainement, mais vers où ? Un autre endroit, ou droit vers le cimetière, une fois qu’ils nous auraient tués ?
Nous parvînmes à une crypte dans laquelle se dressaient plusieurs grandes cages de métal. Mes compagnons d’infortune se trouvaient dans l’une d’elles, et le Docteur, toujours inconscient, dans une autre. Pour quelqu’un qui se vantait de courir vite pour échapper à ses ennemis, sur ce coup-là, c’était raté…
Mon cerbère me poussa dans une cage vide après m’avoir lié les mains dans le dos. La corde était serrée et me brûlait les poignets, impossible de me libérer. Toujours tremblante, je m’assis comme je le pus au fond de ma geôle, dos aux barreaux, attendant la suite avec angoisse tout en essayant de calmer ma respiration.
Le chef passa lentement devant nos cages, semblant nous évaluer, et une fois de plus, je me demandai ce qui nous attendait. Il se retourna finalement vers le cocher en lui lançant d’un ton mécontent :
« La moisson n’est pas terrible cette fois ! »
L’homme haussa les épaules avant de se défendre :
« Les gens du cru s’méfient maint’nant, y a eu d’jà pas mal d’disparitions ! Faudrait p’t-être changer d’coin ! 
— Ce château est la cachette idéale, les habitants ont trop peur des légendes locales pour venir y fourrer leur nez. Pas question de l’abandonner ! »
Le colosse haussa de nouveau les épaules, répondant :
« Y a quand même cinq personnes qu’iront bien pour les mines, et la donzelle est pas mal, elle conviendra pour un bordel ! »
Il fallut quelques secondes à mon cerveau paniqué pour réaliser ce qu’il venait de dire : la donzelle, c’était moi, et ce qu’il envisageait pour moi… Non ! Je compris alors qu’ils se livraient au trafic d’êtres humains et que nous constituions la prochaine livraison. J’aurais dû résister, protester, mais la peur me paralysait. Le sort qui m’attendait me semblait pire que tout. Je jetai un coup d’œil suppliant au Docteur : il fallait qu’il nous tire de là, tous, d’un coup de tournevis sonique ou de n’importe quelle autre façon, et qu’il mette ces sinistres personnages hors d’état de nuire, ça ne pouvait pas se terminer comme ça !
Le chef sortit de sa poche une montre à gousset et la consulta, avant de lâcher :
« Ils vont bientôt arriver, remontons les attendre. »
Nos ravisseurs quittèrent la pièce en nous laissant seuls. Ils n’étaient pas inquiets, car ligotés et enfermés dans de solides cages de métal, nous n’avions aucune chance de nous échapper.
Dès que j’entendis la porte de la crypte se refermer, je me mis à chuchoter :
« Docteur, Docteur, réveillez-vous, je vous en supplie ! »
Tout en l’appelant, je touchai les barreaux de la cage derrière moi : c’étaient des carrés de métal aux arêtes tranchantes. J’essayai de faire glisser les cordes dessus pour me libérer, sans cesser de tenter de réveiller le Docteur. Je réprimai un cri quand mon poignet dérapa et que le métal érafla ma peau, la coupant net. Affolée, je sentis le sang couler et me demandai si je ne m’étais pas ouvert une veine. Au même moment, je perçus des couinements et, de plus en plus paniquée, pensai au rat qui traversait le hall. Je hoquetai : et si mon sang l’attirait et qu’il me mordait ? Et surtout, s’il n’était pas seul ? Allais-je me faire attaquer par un troupeau de rats affamés ?
Au bord des larmes, je m’activai aussi vite que je le pouvais, m’efforçant de ne pas me blesser plus. Malheureusement, les cordes refusaient de rompre, alors que le temps pressait. Ma situation devenait de plus en plus critique, et j’avais aggravé mon cas avec ma blessure.
Un bruit sur le côté me fit tourner la tête et le soulagement m’envahit en voyant le Docteur se réveiller enfin. Il regarda autour de lui, un peu hébété, puis se tourna vers moi :
« Où sommes-nous ? Que nous est-il arrivé ?
— Chut, parlez moins fort ! Nous avons été enlevés !
— Par qui ?
— Des hommes qui veulent nous vendre comme esclaves. Faites quelque chose, sortez-nous de là ! »
Il me fixa, un peu éberlué :
« Comment ?
— Je ne sais pas, c’est vous le Docteur, trouvez une idée géniale ! Tenez, utilisez votre tournevis par exemple ! »
La situation commençait à me faire perdre tout contrôle : malgré mes efforts, je ne parvenais pas à me libérer et la panique m’envahissait. Elle se mêlait à l’énervement face à l’impuissance du Docteur, qui me rendait folle. Si lui ne pouvait rien faire, qui nous aiderait ?
Je jetai un coup d’œil vers lui ; il me fixa et me demanda :
« Où sont nos ravisseurs ?
— Ils attendent leurs clients, pour nous vendre.
— Ils sont nombreux ?
— Six, dont cinq armoires à glace, nous n’en viendrons pas à bout seuls… Aïe !
— Qu’y a-t-il ? »
Je ne répondis pas tout de suite, submergée par la terreur : je me reculai avec horreur, après avoir senti une morsure sur ma main ensanglantée. Je me retournai en claquant des dents et découvris le rat famélique qui venait de s’en prendre à moi ; ses yeux fiévreux me fixaient et il était évident que je ne lui faisais pas peur du tout. Du mouvement dans l’ombre au fond de la pièce me glaça : cette bestiole répugnante ne représentait que l’avant-garde, plusieurs paires d’yeux luisants étaient dardés sur moi, n’attendant sans doute qu’un signe pour se jeter sur moi. Je m’étranglai :
« Docteur, pressez-vous, les rats vont m’attaquer… il y en a déjà un qui m’a mordue !
— Pourquoi ?
— Je me suis coupée la main, mon sang les attire !
— Oh ! »
Oh ?! Je lui disais que des rats assoiffés de sang risquaient de m’attaquer d’un instant à l’autre et tout ce qu’il trouvait à dire, c’est oh ?! Si je n’avais pas été dans un tel état de peur, de panique et proche de l’évanouissement – et ligotée et enfermée dans une cage aussi –, je l’aurais assommé avec le premier objet qui me tombait sous la main !
Je m’étais éloignée des parois de la cage, trop proche des rats à mon goût, mais du coup, je ne pouvais plus me libérer. L’espace entre les barreaux ne pouvait laisser passer un homme, en revanche ils étaient assez larges pour un rat, et je compris, terrifiée, que j’étais piégée, à la merci de ces monstres. Je tançai le Docteur :
« Nom de Dieu, c’est vous qui nous avez fourrés dans ce pétrin, sortez-nous de là !
— J’essaie, je réfléchis…
— Arrêtez de réfléchir et agissez ! Vous ne voyez pas que ces rats vont me bouffer ?! »
Je devenais hystérique. Comme s’ils avaient senti ma peur et qu’elle les attirait, les rongeurs trottinèrent en direction de ma cage.
Le Docteur tentait de se libérer de ses liens, sans grand succès ; il parut avoir une illumination :
« Mettez-vous debout !
— Quoi ?!
— Levez-vous, ils ne pourront plus atteindre votre main ! »
Je doutais que ça suffirait à les arrêter, mais tant bien que mal, je me remis sur mes jambes, empêtrée entre mes mains et ma jupe à tournure, privée de points d’appui. Je tremblais comme une feuille et j’avais du mal à tenir sans m’effondrer. Les rats avaient atteint ma cage et se tenaient près des barreaux. Ces sales bêtes devaient préparer leur attaque, pour trouver la meilleure façon de me boulotter. Ma main me faisait mal, entre la coupure qui saignait toujours et la morsure qui allait sans doute s’infecter. J’avais de plus en plus de mal à surmonter le tourbillon qui avait envahi mon esprit pour garder mon sang-froid. Je me mis à insulter le Docteur :
« Espèce d’incapable, vous allez faire quelque chose, oui ou non ? »
Non, ça ne pouvait pas se terminer comme ça, pas maintenant… Je pivotai sur moi-même en chancelant, de plus en plus affolée : d’autres rats avaient surgi de l’ombre et encadraient maintenant toute la cage. Si je criais, je les ferais peut-être fuir, mais en attirant nos ravisseurs. Mais si je me taisais, je me faisais dévorer dès que je m’effondrais au sol. Le choix fut vite fait : je me mis à hurler, laissant libre court à la panique que je retenais depuis trop longtemps. Le Docteur devait essayer de me faire taire, mais je ne l’entendais pas, hystérique, incapable d’arrêter le flot sonore qui coulait de ma bouche.
Des bruits précipités résonnèrent dans l’escalier et une clarté envahit la pièce. Nos ravisseurs arrivaient en courant, suivis de trois autres hommes, sans doute les commanditaires. Le chef demanda en criant, pour s’efforcer de couvrir mes hurlements :
« Que se passe-t-il ici ? »
Leur arrivée brutale avait effrayé les rats : ceux-ci battirent en retraite, s’éparpillant dans la pièce. Le cocher déverrouilla ma cage et, voyant que je ne me calmais pas, me donna deux gifles retentissantes pour me faire taire. Je m’effondrai au sol en silence, presque assommée, n’entendant plus qu’un brouhaha autour de moi. Les inconnus allaient sans doute nous emmener, mais je n’étais plus en mesure de résister. Quant à savoir quel serait le pire, entre être à leur merci ou me faire dévorer par des rats, mon cerveau n’était plus en mesure de répondre. Je sursautai à peine, incapable de réagir, quand des cris parvinrent soudain à mes oreilles :
« Police, que personne ne bouge ! »
Un désordre indescriptible envahit la pièce tandis que des policiers faisaient irruption et engageaient le combat avec nos ravisseurs. Heureusement pour nous, trop occupés à se défendre, ces derniers semblaient nous avoir oubliés, alors que nous aurions pu servir d’otages.
Enfin, au bout de quelques minutes, le vacarme se calma et je découvris, en soulevant avec difficulté mes paupières, encore sonnée, que la police avait maîtrisé tout le monde ; j’entendis, dans un bourdonnement, le commissaire s’adresser aux bandits :
« Cette fois-ci, après des semaines de recherche, nous vous trouvons enfin, c’en est fini de vos méfaits ! »
Malgré le soulagement qui m’envahit à ces mots, je n’arrivais pas à résister à l’engourdissement qui me submergeait. Je croisai le regard du Docteur et son sourire fut la dernière chose que je vis…

La première chose que je vis en ouvrant les paupières fut l’étagère sur laquelle s’alignaient les DVD de la série. Je clignai des yeux et regardai autour de moi, surprise : j’étais allongée sur mon canapé, dans mon appartement, et je venais de faire un stupide cauchemar. Je secouai la tête et s’assis en me traitant d’imbécile, me disant que j’avais trop regardé ce feuilleton. Je levai la main pour dégager les cheveux qui tombaient sur mon front, et ce fut là que je les vis, toutes les deux : une trace de coupure à peine cicatrisée et celle de la morsure de petites dents pointues…

vendredi 20 septembre 2013

Nouvelle : "Rome"

Une autre nouvelle, écrite également pour un concours de mon forum d'écriture sur le thème "un sentiment fort dans le milieu du cirque".

Cette nouvelle a pour héroïne Abigaelle, un de mes personnages qui devrait revenir dans d'autres récits.

Bonne lecture.



Rome

J’avançais dans les rues pleines de monde, sur les traces de Philippus, tenant un morceau de sa toge de la main droite pour ne pas le perdre. Tout en marchant, je ne cessais de jeter des regards furtifs tout autour de moi : mais où que se portent mes yeux, je ne voyais que de la pierre et des bâtiments à perte de vue. Où étaient donc les forêts verdoyantes de ma Gaule natale, celles où je pouvais courir en toute liberté en inspirant à pleins poumons ? Ici, tout m’étouffait, j’avais du mal à respirer.
Je soupirai et reportai mon attention sur Philippus qui, devinant sans doute l’appréhension qui me saisissait, me prit par l’épaule pour m’amener à ses côtés, me protégeant de sa haute silhouette.
Autour de nous, la foule se faisait de plus en plus dense, comme un monstre sur le point de m’avaler ; je commençais à sentir la panique monter en moi, comme si j’étais prise au piège. Je voulais sortir de là, mais je ne pouvais pas, je ne pouvais que suivre le mouvement, coincée au milieu de cette marée humaine, et malgré moi, je me mis à trembler légèrement.
Devant nous se dressait un édifice massif vers lequel convergeait la masse. Des gens arrivaient de toutes les rues environnantes, et envahissaient l’avenue sur laquelle nous avancions.

 Je me souvins de ce que m’avait dit mon protecteur quand il m’avait ordonné de passer ma plus belle robe :
« Je t’emmène au cirque voir les jeux. »
Je n’avais pu m’empêcher de lui demander, dans mon ignorance de petite Gauloise à peine débarquée à Rome :
« Qu’est-ce que c’est ?
— Tu le découvriras par toi-même, dépêche-toi de t’habiller. »
Notre servante m’avait aidée à passer la robe ; elle ne m’en avait guère dit plus, malgré mes questions, mais j’avais vu qu’elle semblait toute excitée à la perspective de ce que nous allions voir, et je m’étais dit que ce seraient sûrement des réjouissances.

Mais à mesure que nous approchions de l’endroit, je regrettais d’être venue. Je n’avais pas encore l’habitude des grandes foules, ni de la ville d’ailleurs. J’étouffais au milieu de ces monstres de pierre qui semblaient prêts à m’engloutir, plus particulièrement celui vers lequel nous avancions tous. Je voyais les gens s’engouffrer sous ses arcades et disparaître dans l’obscurité, comme avalés par le vide. Je sentis mon cœur s’accélérer tandis qu’arrivait notre tour, et la fraîcheur des lieux me donna la chair de poule, accentuant mon tremblement. La foule se resserrait autour de moi dans ce couloir seulement éclairé de quelques torches. Je voulais fuir de peur de finir écrasée, retourner me mettre à l’abri dans la maison de Philippus ; mais ce dernier me tenait fermement et m’obligeait à continuer.
Soudain, une grande clarté m’éblouit, et je puis respirer de nouveau plus librement. Je découvris sous mes yeux ébahis des milliers de spectateurs assis sur des gradins, autour d’une vaste arène sablonneuse. Philippus m’entraîna vers un banc de pierre au premier rang sur lequel notre servante posa des coussins pour nous, avant de s’asseoir à côté de moi. Je parcourus les lieux du regard, effarée car je n’avais jamais vu un tel endroit, et tant de gens rassemblés. Les gradins se remplissaient peu à peu, les spectateurs se saluaient, s’interpellaient de leurs places, riaient et criaient : une grande excitation régnait sur les lieux, qui semblait contagieuse. Il y avait là non seulement des hommes, mais aussi des femmes et des enfants. Beaucoup portaient leur plus belle tenue, prouvant l’importance de ce que nous allions voir. Des serviteurs déambulaient et distribuaient de la nourriture que les gens prenaient avec gratitude. Une telle ambiance contribua à me détendre un peu : c’était bien à un spectacle que Philippus m’avait emmenée, et j’allais passer un bon moment. Pourtant, au fond de moi, je n’arrivais pas à y croire complètement, et un sourd pressentiment continuait de m’étreindre.
Une grande clameur retentit dans l’arène, et je me tournai pour voir ce qui se passait : dans une loge au milieu des gradins, quelques hommes et femmes venaient d’apparaître, sans doute des hauts dignitaires. Ils saluèrent brièvement la foule, puis s’assirent.
La rumeur se fit plus basse, et je compris que le divertissement allait commencer. Mais au lieu de voir arriver des musiciens, des danseurs ou des acteurs, je découvris une troupe hétéroclite d’hommes bardés d’armes et de protections diverses. Un malaise s’empara de moi tandis que je redoutais ce qui allait suivre. A leur entrée, la foule s’agita et une rumeur remplit l’arène tandis que les guerriers allaient saluer jusqu’à la tribune. Je pris le bras de Philippus et l’interrogeai, tendue :
« Qui sont ces hommes ?
— Des gladiateurs. Ils vont combattre pour le plaisir du peuple. »
Ma gorge se noua et ma respiration se fit plus difficile : je ne voulais plus assister à des combats, j’en avais déjà trop vu ces dernières années, et le dernier auquel j’avais pris part malgré moi me réveillait encore toutes les nuits quand il envahissait mes cauchemars. J’aurais voulu me lever et partir en courant, m’enfuir loin d’ici pour ne pas voir ça, mais mes jambes me semblaient de plomb et je ne pouvais pas bouger ni détourner mon regard, fascinée malgré moi.
Sur le sable de la piste, les hommes s’éparpillèrent en petits groupes et commencèrent à combattre : tous n’avaient pas les mêmes armes, ni les mêmes protections. Je devinais qu’il y avait des règles, mais je n’avais pas envie d’en savoir plus, et je restai silencieuse, souhaitant que le temps s’accélère et que tout cela en finisse pour retrouver le calme de la maison de Philippus.
Tout autour de moi, la foule se passionnait pour les combats, des encouragements fusaient, j’entendais des noms dominer parfois la rumeur, et je compris que ces hommes, ces gladiateurs, étaient comme des idoles pour le public.
Très vite, les premières blessures arrivèrent, et le sang commença à rougir le sable ; à chaque coup, des cris, remplis d’une joie sauvage qui me terrorisait, retentissaient. Les spectateurs s’échauffaient, et moi je me sentais de plus en plus glacée, remplie d’une appréhension qui ne cessait de croître tandis que les images sous mes yeux se mêlaient à d’autres surgissant dans mon esprit. Ce n’était pas ce combattant au filet qui tombait à genou dans le sable, mais mon frère, quand la lame l’avait transpercé de part en part. Et l’homme qui venait de s’effondrer, un trident enfoncé dans sa poitrine, me rappelait notre druide quand le démon l’avait embroché de sa lance. Et cet autre encore…
Soudain, la foule s’excita encore plus, comme chauffée à blanc, toute son attention tournée vers un seul combat : un homme de haute taille, au visage masqué par la visière de son casque, se battait seul contre trois adversaires. Il avait arraché l’épée d’un de ses concurrents effondré sur le sol et en avait désormais une à chaque main. D’un geste puissant, il croisa les épées et décapita le gladiateur le plus proche, faisant gicler son sang… tout comme il avait décapité mon père un mois plus tôt, quand il avait attaqué mon village. Car le doute n’était à présent plus permis : le démon qui nous avait attaqués, qui avait tué tous les miens et qui m’avait laissée pour morte avant de disparaître, se tenait là sous mes yeux, au milieu de cette arène, en train de massacrer d’autres hommes sous les cris de joie de la foule. Je ne voyais pas son visage, mais je savais, je sentais au plus profond de mes tripes que c’était lui…
J’agrippai le bras de Philippus tellement fort que j’y enfonçai mes ongles, et je soufflai d’une voix haletante et paniquée, en me penchant vers lui, pour qu’il m’entende malgré le brouhaha de la foule :
« C’est lui… c’est le démon qui a détruit mon village ! Il faut faire quelque chose ! »
Il se pencha vers moi à son tour et me murmura à l’oreille :
« Je sais que c’est un démon, mais ici c’est impossible, je ne peux pas aller dans l’arène et le combattre, pas devant toute cette foule.
— Mais c’est un assassin ! Il faut le tuer !
— Ça devra attendre… je sais qui il est maintenant, sous quelle identité il se cache. Je le retrouverai bientôt et je rendrai justice, mais pour l’instant, je ne peux rien faire. »
J’étais anéantie : je voyais ce monstre, sous mes yeux, prendre d’autres vies, et personne ne s’interposait, au contraire, la foule l’encourageait à continuer, à tuer encore et encore. Mes oreilles bourdonnaient du flot de sang qui courait dans mes veines à toute allure, tant mon cœur battait à une vitesse folle, sous la panique. Le vacarme environnant, la chaleur du soleil qui nous assommait de ses rayons et la rage des spectateurs eurent raison de moi : je basculai dans un trou noir.

dimanche 18 août 2013

Nouvelle : "Saint Valentin au musée"


Ce soir, pour changer un peu, voici une nouvelle que j'avais écrite en début d'année pour un concours lancé par mon forum d'écriture, dont le sujet était, comme le titre l'indique, la Saint Valentin.
Ou comment mêler mon amour de l'écriture avec ma passion des musées.

Bonne lecture.



Les visiteurs traversent les salles du musée, jetant un coup d’œil distrait aux œuvres, visiblement pressés de quitter les lieux car l’après-midi touche à sa fin et l’heure du dîner approche, ce fameux dîner qu’il ne faut rater sous aucun prétexte, celui de la Saint Valentin.
Et tandis que les gens passent devant moi sans me regarder, je soupire intérieurement : ah, s’ils savaient… s’ils savaient ce qui arrive ici quand le musée est fermé, quand toutes les salles sont plongées dans l’obscurité, quelle vie se met à régner ici. Car croyez-vous vraiment que les œuvres d’art ne sont que des objets inanimés ? Non, bien sûr que non, nous sommes toutes vivantes, aussi vivantes la nuit que nous sommes figées le jour, et nous profitons de chaque moment où nous sommes enfin libérées de notre carcan d’immobilité.
Et moi aussi, le jeune athlète grec piégé le jour dans ma gangue de marbre, je glisse avec bonheur de mon socle et je parcours les salles jusqu’au petit matin, juste avant l’aube, où je reprends ma place.
Mais ce soir, tout est différent, ce soir, moi aussi, comme les hommes et les femmes qui ont traversé ces salles aujourd’hui, je ne pense qu’à une chose, à cette fête de l’amour, à la Saint Valentin. Car depuis quelques semaines, elle est là et mon cœur de marbre ne bat que pour elle… elle, Sibylle, si belle, la dernière statue entrée au musée, qui me fait face du fond de l’enfilade des pièces à quelques dizaines de mètres de moi, et que j’admire de loin tous les jours. Evidemment, je ne suis pas le seul à l’avoir remarquée, bien d’autres prétendants sont déjà venus mettre leur cœur à ses pieds, lui déclarant leur flamme, et ce soir plus que d’autres, ils seront encore là, espérant enfin la conquérir. Mais l’espoir est dans mon cœur, car elle n’a dit oui à aucun d’eux, et j’ai toutes mes chances encore, car je sais où l’emmener pour la supplier de me choisir entre tous.
Enfin la nuit est tombée, à peine ai-je repris vie que je bondis de mon socle et fonce vers ma belle, que je vois s’étirer : ses longs cheveux tombent en cascade dans son dos tandis que les plis gracieux de sa robe ondulent au rythme de ses gestes. Je glisse sur le parquet ciré en voyant mes rivaux déjà s’approcher et, plus rapide qu’eux grâce à ma glissade, j’arrive à ses pieds le premier pour lui lancer de ma plus belle voix :
« O Sibylle, Belle des Belles, accordez-moi ce soir le privilège de vous divertir et de vous emmener découvrir un bel endroit de ce musée. »
Etonnée, la belle baisse les yeux vers moi et me détaille : je suis un jeune homme de belle prestance, seulement habillé d’une toge courte drapée sur une épaule et autour de ses hanches – heureusement que mon créateur ne m’a pas fait nu, j’aurais eu honte de me présenter devant elle complètement dévêtu. Mon allure a l’air de lui plaire et ma proposition aussi, car elle consent à me sourire et me demande :
« Et où souhaitez-vous me conduire, bel inconnu ? »
Je m’incline profondément et lui réponds :
« Je m’appelle Nikolaos, pour vous servir, et je souhaite vous emmener dans un lieu enchanteur dont j’aimerais vous faire la surprise. »
Elle penche la tête et me regarde d’un air curieux, se demandant si elle acceptera de suivre celui qui a eu l’audace de l’apostropher ainsi. Autour de nous, un cercle s’est formé, celui de ses prétendants des premiers jours, qui fustigent ma hardiesse et protestent en promettant à la belle Sibylle monts et merveilles. Mais leurs protestations ont pour seul effet de la décider à accepter mon offre et, d’un geste gracieux, elle me tend la main pour m’inviter à l’aider à descendre de son piédestal. Je m’en empare aussitôt avec délicatesse, y déposant un baiser, avant de tendre mes bras pour l’accueillir tandis qu’elle se laisse tomber avec légèreté vers moi. Je la fais brièvement tournoyer, avant de la poser à terre et de lui présenter galamment mon bras : j’ai beau venir de l’Antiquité, j’ai eu bien des siècles pour observer les manières des hommes du beau monde, et je sais me comporter aussi bien qu’eux.
Nous nous avançons vers la sortie de la salle et mes rivaux n’ont d’autre choix que de s’écarter pour nous laisser passer, nous faisant une haie d’honneur quand ils auraient bien voulu tous me pousser pour prendre ma place. Ils nous suivent des yeux, jaloux, tandis qu’autour de nous, dans leurs tableaux ou sur leurs socles, les femmes et les jeunes filles rient de les voir ainsi humiliés par moi, prenant leur revanche : depuis l’arrivée de Sibylle, tous n’avaient d’yeux que pour elle et les avaient abandonnées. En cette nuit de Saint Valentin, elles tiennent leur revanche, car aucune n’est disposée à répondre aux avances que leur font  désormais les amoureux éconduits, et je me dis qu’il leur faudra du temps pour reconquérir le cœur de leurs anciennes maîtresses.
Mais je n’en ai cure, ce soir, je suis l’homme le plus heureux du musée et j’entraîne ma belle vers un endroit enchanteur, parfait pour une soirée de Saint Valentin, le jardin d’hiver. Je bénis l’architecte qui a créé cette petite merveille, cette véranda à la coupole de vitraux colorés qui, sous la lumière de la pleine lune, éclaire de mille couleurs les plantes qui y poussent à foison. Le spectacle est de toute beauté et Sibylle ouvre des yeux ronds en le découvrant, poussant un petit cri de joie ; elle lâche mon bras et s’avance dans la pièce, avant de tournoyer au milieu, les bras tendus. Sa robe s’illumine de taches de couleurs tandis qu’elle virevolte autour d’elle : ma belle est heureuse, elle savoure la beauté de ce lieu et la liberté retrouvée, prisonnière comme moi toute la journée d’une gangue de pierre. Mais à trop tournoyer, elle vacille et manque de tomber. Heureusement, je suis là et je me précipite vers elle, pour la retenir avant qu’elle ne tombe, la retenant de mes bras protecteurs. Elle rit et me sourit, tandis que je l’entraîne vers un banc de marbre perdu au milieu de la végétation, pour qu’elle puisse s’y reposer et reprendre son souffle. Elle me regarde tendrement et je vois qu’elle apprécie l’endroit, mais aussi ma présence. Nous pourrions parler, mais ce n’est pas nécessaire : nous sommes là, tous les deux, dans un endroit enchanteur, et c’est la Saint Valentin… que demander de plus ? Mes lèvres se penchent doucement vers les siennes, loin de me repousser, elle pose sa main sur ma nuque et m’attire à elle, pour que nous partagions notre premier baiser, qui ne sera sans doute pas le dernier… Après tout, nous revenons à la vie toutes les nuits, et il y aura donc bien d’autres nuits à passer ici…